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Soizic

LIEN VERS LE SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG

 

SECTION Nouvelles, Journal et portraits intime

 

Drôle de vie !

Il y a trois semaines j’ai demandé à mon père, s’il avait peur de mourir. Il m’a dit non. Je lui ai alors expliqué, dans la plus complète sérénité que s’il en était d’accord, il pouvait partir. Que nous étions prêt, nous, à sa mort, que s’il sentait venir le moment, il lui suffisait de se laisser aller. Et que ce soit lui, catholique, ou moi, athée, qui ait raison, le passage pour lui se ferait soit dans la douceur, le calme de l’inerte, soit dans le calme et la douceur infinis d’une vie éternelle.

Dans les deux cas, lui irait dans la sérénité et nous dans la tristesse mais aussi dans l’apaisement d’une fin de vie aboutie après une lutte contre la maladie de plus d’un an et une longue, longue, longue agonie. Je l’ai embrassé.

A trois heures du matin, ma mère m’appelait pour me dire qu’il avait cessé de respirer.

Je suis venu et effectivement, il était définitivement serein.

J’ai été agréablement surpris de la qualité de l’accompagnement des services municipaux, de leur humanité, j’espère que de nombreuses villes pratiquent ainsi. Je ne sais pas, c’était le premier enterrement que je devais co-gérer.

Réunion d’une famille unie.

Puis retour aux réalités.

Ras le bol des scènes de ménage, envie d’infidélité, de nouveau départ.

Trop d’alcool, le soir, toujours…

Soizic est une jeune femme de 31 ans. On s’est connus en écrivant sur le même site des textes interdits aux enfants. Une petite soixantaine de mail en trois mois nous ont permis de nous mieux connaitre. J’ai deviné au 4éme échange qu’elle était sourde.

C’est drôle, souvent enfant, quand on se posait des questions du genre « tu préfèrerais quoi, perdre un bras, être muet, être aveugle ou être sourd ? » je crois que la surdité était ce qui me dérangeait le moins, j’allais bien voir !

Soizic m’a prévenu qu’elle devait perdre des kilos, c’est sympa, je sais à quoi m’attendre. De toute façon l’invitation porte sur une randonnée et un repas, même si je sais qu’elle est une croqueuse d’homme.

On s’est pas mal raconté avant.

Je sais qu’elle est fille d’un père rendu incapable d’amour par une enfance en orphelinat encadré par des prêtres pédophiles, divorcé d’une mère qui elle, avait été rejetée et torturée par sa mère. L’enfant de deux blessés de la vie.

Oui, on ne part pas tous égaux !

Sa mère a eu le droit à un second départ. Elle s’est remariée à un Allemand, ingénieur, quand Soizic a eu 19 ans. Elle a une demi-sœur de 12 ans et un frère, fils de son beau-père, de 17 ans. Comme son beau-père la considère comme sa fille, Soizic a enfin eu une famille qu’elle aime quand elle a eu vingt ans.

Midi, SMS, « je pars juste. Je serai là dans une ½ h ».

Je n’ai pas la moindre idée de comment on parle avec une personne sourde, je sais qu’elle lit sur les lèvres, mais bon, quand on marche, on ne se regarde pas…

La jeune femme qui arrive a de jolis traits, effectivement des kilos en trop, mais un très, très joli sourire. Elle me parle, le français est parfait, il ne manque que deux, trois choses :

Le ton qui est un peu monocorde. Quand un entendant monte et descend la voix pour distinguer une question d’une affirmation , là, sa voix reste sur le même registre et les « t » de « patient », « attention » qu’elle prononce « t » et non « ç », et, bien sûr, l’adaptation du niveau sonore à l’environnement. Elle ne parle pas trop fort, loin de là, mais si on croise des personnes, elle ne baisse pas le ton.

En fait, je suis bluffé par sa maitrise de la parole. Alors qu’elle n’entend pas ce qu’elle dit, elle s’exprime parfaitement, comme elle le dit elle-même, de prime abord, on la prend plus pour une étrangère que pour une sourde.

Et elle parle, beaucoup !

Beaucoup, mais elle est intéressante, ce qui est pour moi le principal.

On se balade, les choses se font naturellement. Je passe devant, comme cela quand je dis quelque chose, je me retourne et elle sait que je lui parle, sinon dès que je suis derrière le fil du contact se rompt.

On mange ensemble, elle apprend à lire mes lèvres. Ça en est presque excitant de voir son regard focalisé sur ma bouche. J’apprends que même habituée, la lecture labiale est un exercice épuisant. Et en fait, il y a des quiproquos que je lève en recaptant son regard d’un geste et en lui faisant regarder de nouveau ma bouche. Dès qu’elle ferme les yeux ou tourne le regard, elle ne m’entend plus et cela se voit. C’est un contact différent d’avec un entendant.

D’ailleurs Messieurs les linguistes, j’apprends que « un voyant » est dans le dictionnaire et « un entendant », non, c’est quoi cette discrimination ?

Et on parle, de tout et de rien, de sexe beaucoup ! De la communauté des sourds où tout le monde se connait et tout se sait (non, pas par bouche à oreille !). De sa mère, d’elle, de ses 52 amants et amantes, elle les compte, les croque et les compare, de sa scolarité, de ses expériences à deux, à trois, plus une ou deux fois, de ses instituteurs, un homme merveilleux, qui avait un micro relié à son oreillette et qui faisait classe à tous et à elle en particulier, quand il se plaçait en face d’elle pour qu’elle puisse lire la dictée sur ses lèvres, de ses devoirs qu’elle doublait d’une ou deux heures d’orthophonie, la main sur le cou de sa maman et sur sa gorge pour essayer de reproduire des sons, des vibrations, qu’elle n’entend pas, des dessins qu’elle utilise pour conceptualiser les mots, de sa galerie de photo de nue, avec mots de passe (oui je fais des fautes parfois, mais là le « s » est volontaire il y a deux niveaux dans sa galerie, un accessible avec mot de passe et un autre pour lequel il faut un deuxième mot de passe), on les regarde ensemble. Elle est très belle, plus mince, en noir et blanc dans des poses suggestives. Les photographes ? Deux ou trois était des amis, réglos sympas les autres étaient plus ambigus.

Je m’imagine avec un appareil photo en train de diriger cette jeune femme nue de 25 ans, en la faisant jouer avec un voile devant moi, je crois que je serai sans doute, réglo, sympa, mais très, très ambigu !

On retourne en rando. Soizic, n’est pas grosse à cause de ce qu’elle mange, elle se fait la cuisine et a une bonne alimentation, c’est juste parce qu’elle ne bouge pas assez. Un peu de solitude, des déceptions amoureuses, de dépression et une passion de la lecture, des vidéos, des séries, du cinéma. Dans cette balade un peu plus sportive, je vois qu’elle souffre aussi d’un petit problème d’équilibre. Je lui dis.

« Oui, c’est l’oreille interne, j’espère que je ne ressemble pas à un poulain qui vient de naitre !

À l’internat des sourds, il y en avait un qui ressemblait à un jeune poulain, en plus il était grand et chétif… »

Non Soizic, tu ne ressembles pas à un poulain, tu ressembles à une jeune femme, un peu enfant, un peu ronde, qui quand elle aura repris son corps en main, sera une femme magnifique, cultivée, qui va chercher et trouver un père pour les enfants qu’elle veut avoir. Cette femme pourra choisir son homme, le tester, vérifier ses qualités. Elle aura le choix.

Retour, moi aussi je deviens ambigu.

Envie et peur de changer de vie, de ne plus être le père et le mari fidèle que j’ai su être pendant 25 ans.

« Tu veux rester manger ? Ça ne te dérange pas, si on remange la même chose ? »

« Tu veux que je reste ? »

« Oui »

Le bloup-bloup de la soupe de poisson qui bout me fait me lever précipitamment, pour ne pas qu’elle déborde. Soizic est surprise.

« Tu l’as entendu ? »

« Oui »

« Moi, je n’entends pas ça, je dois toujours faire attention ! Un fois j’ai failli mettre le feu »

« Je sais.»

J’imagine…

Je sais aussi que j’entends que la cheminée crépite et que tu ne sais pas encore, toi, que j’ai allumé le feu dans le salon.

Et que j’oscille entre une envie d’érotisme et une envie d’amitié…

On mange ensemble. On est amis. Elle me parle de ses ex. Le dernier, obsédé par son poids qui n’arrêtait pas de la tanner à longueur de temps et celui d’avant qui n’arrivait pas à comprendre qu’en rentrant du boulot après avoir lu les lèvres toute la journée, elle avait besoin d’une pause avant de pouvoir parler avec lui. Le temps passe, une heure du matin, je baille, je me lève. Soizic me suit. On se salut

1h30 SMS Je suis bien arrivée. Merci pour cet après-midi. Désolé d’avoir été aussi bavarde. Je suis souvent comme ça au début. Le petit stress de ne pas réussir à suivre la conversation.

Dors bien

Bisous

Soizic

Début d’une amitié.

PK

PS En LDS (Langage des signes), « je t’aime » se montre en tendant le petit doigt, l’index et le pouce à 90° de l’index et en repliant l’annulaire et le majeur.

Ainsi, si vous regardez votre main, votre index forme un « I », avec le pouce, il ecrit « L » et avec le petit doigt, il écrit « U ».

I Love U, retenez-le, ça marche dans tous les pays !

 

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